J’ai un cœur de militante. J’ai aussi une grande gueule, des opinions sur tout (oui oui ! j’ai même des opinions sur les raviolis et sur le chiffre 6) et des provisions d’indignation suffisantes pour qu’on puisse en distribuer à ceux qui en manquent après ma mort.
À cause des sujets que j’explore dans mes livres jeunesse, j’ai souvent été étiquetée, à raison, comme illustratrice engagée. C’est pour cette raison que de nombreux OSBL me contactent pour que je fasse des illustrations pour eux, le plus souvent gratuitement. Je suis flattée qu’on pense à moi pour ces mandats.
J’en ai fait beaucoup, des illustrations gratuites pour des causes qui me tiennent à cœur. C’est parce que j’ai un cœur qui tient à plein d’affaires. L’environnement, le féminisme, l’égalité sociale sous toutes ses formes, je suis pour. Alors j’ai dit oui à tout, au début. Et j’ai appris pas mal de trucs pour que ça se passe bien, que je partage ici pour ceux de mes collègues qui ont le cœur mou comme moi.
J’ai découvert avec stupeur que les bonnes causes, c’est souvent les pires clients pour les illustrateurs. Mes contrats pour les OSBL les plus chouettes ont très souvent viré au cauchemar. Un exemple : L’association des Victimes du Pied d’Athlète contre la Cruauté envers les Brocolis (l’AVPACEV) voulait une affiche. On m’a demandé 10 esquisses (habituellement, je n’en fais pas plus de trois), des dizaines de modifications, des tas de changements au final. L’image passait par tout le conseil d’administration et chaque membre avait son mot à dire.
C’est très très démocratique, habituellement, des OSBL. Une des membres voulait que je dessine une femme noire ici. Une autre voulait un punk là, et une personne avec un handicap physique à côté. Un autre m’a demandé de dessiner un keffieh à un de mes personnages, et son voisin voulait que je l’enlève parce que ça pouvait être confondu avec un voile. On voulait que j’ajoute un transgenre, mais pas trop stéréotypé. Quelqu’un voulait que j’ajoute un peu d’humour, mais quelqu’un d’autre trouvait que c’était une mauvaise idée parce que ça enlevait du sérieux au message.
Bref, on m’a demandé pour ce mandat gratuit trois fois plus d’efforts et de temps que ce que je dépense habituellement pour mes contrats payants. Et c’était encore pire quand j’ai fait un dépliant pour le Regroupement Inter-ethnique des Tables de Concertation des Esthéticiennes Anti-Phosphates (le RIETCEAP).
La démocratie au sein des organismes, c’est super, et je ne voudrais pas que ces gens fonctionnent autrement. J’aime ben ben ça, la démocratie. Et c’est normal aussi que les OSBL ne soient pas habitués de travailler avec des graphistes ou des illustrateurs et qu’ils ne connaissent pas toujours la valeur du travail qu’ils demandent. Mais le fait est que ça rend la tâche difficile à ceux qui, comme moi, veulent donner un coup de main et n’ont pas beaucoup de temps.
J’ai arrêté de dire oui à ces demandes pendant un temps, c’était trop exigeant. Puis je me suis dit : « Fudge ! » (je me dis ça des fois.) « J’ai pas envie d’être une fille qui dit non au bénévolat. Je VEUX donner un coup de main. Comment faire sans y laisser ma peau ? »
J’ai décidé de recommencer à dire oui à ce type de demandes, mais en établissant mes limites au départ, et en éduquant les clients.
Si vous me contactez pour faire une affiche pour votre organisme et que j’ai envie/le temps de le faire, je vais vous dire : « OK. Pour une affiche, je demande habituellement XXXX $. (Ça, je dis ça pour que le client sache que je dois être traitée avec le même respect que son électricien ou que son plombier, que je suis pas juste une tite madame qui aime ça dessiner, que je suis une professionnelle, oui môssieur.)
Je suis prête à vous la faire gratuitement à ces conditions : pour le travail gratuit, j’offre un maximum de deux esquisses, de trois modifications à l’esquisse choisie, et aucune modification au final à moins d’un problème grave. Si vous pouvez vivre avec ces conditions, on a un deal. »
Et ça marche ! Je suis satisfaite, le client est satisfait, les demandes incessantes ont été éliminées et je peux continuer mon implication sociale sans laisser de côté mon gagne-pain.
C’est vraiment chouette, en plus, de faire du travail bénévole. Ça me fait travailler des trucs différents, ça me fait du bien au moral et ça peut être très formateur. Ça m’a même permis de me faire connaître et de me trouver de bons clients au début de ma carrière.
Je recommande à tout le monde d’en faire. Mais mettez vos culottes. Tout le monde est content quand on porte nos culottes, surtout en tout début de relation.
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Post scriptum: Olivier, un copain Facebook graphiste, suggère d’exiger un interlocuteur unique quand on travaille bénévolement. Cette personne devra faire office de médiateur et modérer les demandes du restes de son équipe. Une autre lectrice, pour sa part, fait signer des contrats listant ses conditions de travail à tous ses clients bénévoles. Très bonne idée! Avez-vous d’autres trucs pour vous faciliter la tâche?