Un article d’Étienne Paré, Le Devoir
L’autrice jeunesse à succès Élise Gravel regrette que son livre Pink, Blue and You !, qui traite d’orientation sexuelle et d’identité de genre, soit interdit dans certaines écoles aux États-Unis. La Québécoise dit avoir reçu dans les dernières semaines plusieurs messages d’enseignants et de bibliothécaires américains qui auraient aimé pouvoir faire lire ce livre à leurs élèves afin de les sensibiliser aux questions de diversité sexuelle, mais qui en sont empêchés.
« Je m’attendais à ce que mon livre soit interdit dans certains États conservateurs et dans certaines commissions scolaires. Mais mon inquiétude va au-delà de mon livre. C’est le mouvement qui est derrière tout ça qui m’inquiète », lance Élise Gravel, indignée, qui s’est moquée du bannissement de son livre sur les réseaux sociaux lundi.
Pink, Blue and You !, publié l’an dernier, n’est pas le premier livre d’Élise Gravel qui pose problème aux États-Unis. En 2018, aucun éditeur américain n’avait voulu de La tribu qui pue, car l’on craignait que les dessins d’enfants nus dérangent, même si la nudité n’avait ici rien de sexuel. Dans Pink, Blue and You ! (Le rose, le bleu et toi ! au Québec), on peut également voir un dessin, très rudimentaire, d’un petit garçon et d’une petite fille dans leur plus simple appareil. Là encore, dans un but éducatif, puisque le livre est destiné aux jeunes enfants.
Ron fait la morale
Mais ce n’est pas la seule chose qui choque les Américains dans ce cas. Selon l’autrice et illustratrice, ce sont aussi les thèmes abordés qui empêchent présentement le livre d’être distribué dans certaines écoles au sud de la frontière. Pink, Blue and You ! remet notamment en question les stéréotypes de genre. On peut aussi y lire que l’on peut aimer qui l’on veut, ou encore qu’il est possible de s’identifier à un autre genre que celui qui nous a été assigné à la naissance.
Or, la Floride, par exemple, a adopté l’an dernier la loi « Don’t Say Gay », comme la qualifient ses opposants. Celle-ci décourage les enseignants d’aborder tout thème en lien avec les questions LGBTQ+, de la maternelle jusqu’à la 3e année. Les livres jeunesse tels que Pink, Blue and You ! se trouvent ainsi écartés du programme scolaire.
Le gouverneur républicain de l’État, Ron DeSantis, que plusieurs voient à la Maison-Blanche, a dit vouloir lutter contre l’endoctrinement des enfants, dans le contexte où toutes les questions liées au genre et à l’identité prennent de plus en plus de place dans le débat public aux États-Unis. Ce discours horripile Élise Gravel. « Je trouve ça terrifiant. Il y a des gens qui se scandalisent de la cancel culture. Mais ici, c’en est pour vrai. C’est carrément de la censure », s’insurge-t-elle, en entrevue au Devoir.
Elle se réjouit de ne pas faire face à un tel ressac ici, au Québec. À sa connaissance, aucune école n’a limité l’accès à son livre. Mais la nouvelle loi en Floride lui fait dire que rien n’est acquis. « On n’est pas à l’abri. D’ailleurs, quand le livre a été lancé au Québec, les commentaires haineux pleuvaient sur mes réseaux sociaux. J’ai dû engager une modératrice. Il y a aussi des homophobes et des antitrans ici » , déplore-t-elle.
Pas politique
Élise Gravel a pris l’habitude d’aborder de front dans ses livres pour enfants certaines questions qui font débat dans la société. Dans Le rose, le bleu et toi !, écrit en collaboration avec Mykaell Blais, elle défend entre autres l’usage du pronom neutre « iel » pour les enfants qui ne se sentent ni filles ni garçons. Mais même si elle assume ses convictions progressistes, elle nie vertement faire de la politique, ou pire, de la propagande.
« Dire que des personnes gaies existent. Dire qu’il y a des familles homoparentales. Que des garçons ont le droit de jouer avec des poupées. Si ça, c’est politique, ça va mal ! Il y a un mouvement qui essaie de nous faire croire que ce l’est. Mais ce n’est pas politique. Je n’ai jamais essayé de faire un livre politique », conclut Élise Gravel.